The story of Thierry
Notre fille, Enora, est née avec 3 semaines d’avance suite à un déclenchement en raison d’une inflexion de croissance pendant les dernières semaines de grossesse. Hormis
cela, la grossesse de maman s’est bien déroulée et rien aux échographies ne laissait présager de ce qui nous attendait. Le bébé était tonique et en bonne santé.
L’accouchement s’est lui aussi bien passé. Enora était un petit bébé (2,4 kg) tout comme sa grande soeur née 3 ans plus tôt. Nous étions de retour à la maison avec notre 2ème
bébé, tout allait pour le mieux, elle mangeait bien et dormait plutôt bien. Le bonheur à son paroxysme!
Trois mois plus tard, tout cela avait pris une tournure dramatiquement différente.
L’impensable nous a été annoncé : Enora a été diagnostiquée avec une malformation neurologique rare appelée microcéphalie avec une hypoplasie pontocérébelleuse très marquée. La forme la plus courante de cette malformation a un pronostic particulièrement sombre avec la mort survenant dans la petite
enfance. Cela a été un coup de massue sur nos têtes. Nous avons appris la nouvelle en plein mois de juillet ce qui n’a pas facilité la prise en charge et les démarches administratives pour déclarer la maladie de notre fille. Mais même si nous étions
littéralement assommés par ce qui arrivait à notre petite, nous avons très rapidement contacté d’autres familles et des associations pour nous informer sur le peu de choses nous savions sur cette mystérieuse maladie et ce à quoi il fallait s’attendre à l’avenir…
N’étant pas une personne qui aime le statu-quo, j’ai tout de suite foncé pour offrir à ma fille tout ce qui pourrait l’aider dans son épanouissement (prises en charge, jeux, etc). Je n’ai jamais accepté qu’on me dise qu’on ne pourrait jamais rien pour la guérir ou la soigner.
A ses 9 mois, nous avons appris que sa malformation cérébrale était due à une mutation de novo du gène CASK sur le chromosome X, ce qui précisait (un peu) le diagnostic.
Les mutations du gène CASK affectent principalement le système nerveux et en particulier le cervelet et le tronc cérébral. Ce gène code pour une protéine du même nom dont le rôle est clé au bon fonctionnement des neurones et à la transmission synaptique.
Les phénotypes résultant de mutations du gène CASK forment un large spectre de possibilités : la majorité des mutations chez les garçons sont hélas souvent létales au cours de la première année de vie (car ne disposent qu’une seule copie du gène CASK
sur le chromosome X) et les filles vivant avec une déficience intellectuelle grave à moyenne sont non verbales et des troubles psychomoteurs légers à sévères. Certains ont également besoin de sondes d’alimentation, souffrent d’épilepsie pharmacorésistante, ont des problèmes de vision et une perte auditive ou peuvent encore présenter des problèmes respiratoires. Notre fille semble ainsi sévèrement
touchée puisqu’elle présente un sévère retard cognitif, présente une hypotonie axiale et une hypertonie des extrémités, a une motricité globale et fine presque nulle puisqu’elle
ne tient pas assise/ne rampe pas/ne roule pas de ventre à dos ou de dos à ventre. Elle souffre d’épilepsie réfractaire, a une atrophie bilatérale de ses nerfs optiques et une perte auditive et doit être nourrie par sonde d’alimentation car elle a de grandes
difficultés pour déglutir.
Il n’y a pas assez de données pour se prononcer sur l’espérance de vie des personnes atteintes de mutations du gène CASK. Généralement, tout est inconnu en ce qui concerne les troubles liés à CASK car les cas sont trop rares pour intéresser la recherche et la médecine.
Plusieurs choses m’ont permis de tenir le coup dans cette tempête et de ne pas abandonner voire commettre l’irréparable. D’abord, ma fille aînée qui m’a plusieurs fois rappelé
sur terre. Jamais je n’oublierai ses mots quand j’essayais de
jouer avec elle mais n’avais clairement pas la tête à ça : « Papa,
quand tu joues avec moi, j’aimerai que tu rigoles avec ta bouche mais aussi avec ta tête ». Les enfants ont ce don de frapper tellement juste et si simplement. Deuxièmement, ma femme qui, elle, a toujours su garder les pieds sur terre au contraire
et aujourd’hui encore m’oblige à vivre des choses simples en famille que je m’empêche moi-même trop facilement de réaliser. Elle a été ma meilleure psychologue. Enfin, nos parents qui nous ont fait le plus beau des cadeaux en nous offrant leur temps
pour nous aider et nous soutenir pour la garde des filles, notamment dans les moments très compliqués liés aux hospitalisations, aux « nuits » raccourcies à quelques heures,
pour les nombreux RDV médicaux, etc.
J’ai continué, et continue toujours, de faire des recherches en ligne sur tout ce qui touche à CASK. C’est ainsi que j’ai rapidement trouvé le groupe Facebook en ligne pour les troubles génétiques CASK. J’y ai retrouvé des familles vivant ou ayant vécu exactement la même tornade que nous traversions. C’est également là que j’ai découvert l’existence d’associations – l’ ACNRF et la CASK RESEARCH FOUNDATION – qui se démenaient pour trouver des chercheurs et lever des fonds pour des projets de recherche pour améliorer les conditions de vie de nos petits souffrant de mutations du gène CASK. Elles souhaitaient aider un chercheur de premier plan sur CASK à poursuivre ses recherches sur un traitement possible pour la maladie mais également un laboratoire aux États-Unis. Ce laboratoire travaille déjà sur deux maladies rares très similaires aux mutations du gène CASK et repousse les frontières de la thérapie génique. Ce sont des techniques pionnières qui cherchent à « activer » le gène CASK sur le chromosome X silencieux. Sans entrer dans la science liée à l’X, la théorie de ceci implique que cela pourrait corriger la maladie et ainsi changer massivement le pronostic
pour nos enfants. Le prix de ce programme de recherche est élevé – environ 1,5 million de dollars.
J’ai tout de suite su que je voulais les rejoindre et les aider. La façon la plus sûre de ne pas réussir quelque chose est de ne pas essayer ! Frustré qu’en faisant un don à l’étranger, nous ne recevions pas de réduction d’impôt et craignant que cela ne dissuade d’autres familles françaises de donner, j’ai réalisé qu’un organisme de bienfaisance français pour CASK était nécessaire. J’étais assez réticent à en créer un moi-même, car à ce moment-là, j’avais déjà créé une association pour Enora pour nous aider
financièrement pour sa prise en charge, je venais de reprendre mon travail, les RDV médicaux d’Enora s’intensifiaient… Bref, je ne savais pas vraiment dans quoi je m’engageais ni où j’allais trouver le temps pour une telle entreprise. J’ai contacté les
autres familles françaises et quelques mamans ultra motivées m’ont répondu. A force de travail acharné et le support inconditionnel des associations sœurs CRF et ACNRF Australie puis USA, l’ASSOCIATION ENFANTS CASK France est née en 2 mois, en Septembre 2022 pour la France et les DOM-TOM. Elle s’est depuis étoffée avec l’instauration d’un conseil scientifique, a
tissé des liens avec les filières de santé maladies rares françaises ainsi que d’autres organismes et fondation œuvrant dans le domaine des maladies rares.
Nos quatre organismes de bienfaisance, répartis dans le
monde entier, sont maintenant partenaires et œuvrent de
concert dans un seul et même but commun : informer sur CASK et soutenir la recherche sur le gène CASK. Même si nous ne nous sommes jamais physiquement rencontrés, je considère les administrateurs des associations sœurs comme de véritables amis et ai pleine confiance en eux. Nous avons également une petite équipe américaine qui n’est affiliée à aucune organisation caritative particulière, mais qui aide à coordonner les choses, à contacter les scientifiques et à promouvoir la base de données de la communauté CASK qui est détenue par RARE-X. Je recommande vivement à toutes les nouvelles organisations de maladies rares de s’inscrire à RARE-X et de collaborer avec eux pour créer un registre médical détaillé, sécurisé (conforme RGPD) et appartenant aux patients.
Au moment d’écrire ces lignes, environ 20% de la communauté CASK dont nous avons connaissance a rejoint RARE-X. Nos confrères britanniques ont une proposition d’étude sur l’épilepsie en attente d’examen par une université de renommée mondiale et une étude d’histoire naturelle alignée par une université britannique bien connue. Nos collègues australiens continuent de soutenir les efforts du chercheur US sur un
médicament réduisant voir supprimant l’apoptose des neurones exprimant le variant muté de CASK et améliorant l’évolution de la maladie. Nous continuons de contacter des chercheurs et médecins francophones pour CASK et avons déjà reçu le retour de l’un d’eux évoquant le souhait de développer des lignées modèles poissons ou organoïdes pour de prochaines études. Nous devrions également organiser, avec le soutien du centre de référence maladie rare concerné à Paris, la première journée de
rassemblement des familles CASK en France en juin prochain. La confiance et le travail d’équipe derrière cela est la raison pour laquelle nous avons réussi à agir si rapidement et efficacement.
Bien que nous soyons un organisme de bienfaisance nouvellement créé, nous construisons progressivement notre portefeuille d’initiatives de collecte de fonds. Nous avons ainsi pu collecter des fonds via des lotos en ligne, des ventes de chocolats solidaires et des actions terrain comme des tournois sportifs ou la confection de paquets cadeaux pour Noël. D’autres actions sont dans les cartons pour 2023 mais nous réfléchissons aussi à des actions communes avec l’ACNRF Australie et USA et la CRF.
2023 commence à peine mais nous sommes déjà à pleine vapeur !
Avoir un enfant atteint d’un handicap grave et limitant l’espérance de vie est l’une des pires choses qui puissent arriver à une personne. Je ne souhaiterais jamais la vie ou la souffrance d’Enora à qui que ce soit. La vie que nous menons désormais avec cette petite fille Xtraordinaire est une vie parallèle à celle que nous avions avant son arrivée et à celle que nous espérions pour elle à nos côtés. La maladie a redistribué les cartes…
Des liens se sont créés, certains resserrés, d’autres au contraires dénoués… Mais notre plus grande crainte pour Enora et ses autres copains guerriers CASK reste l’avenir avec la trop souvent délicate et épineuse transition enfant/adulte au niveau des suivis
médicaux, le manque de place en structures d’accueil et la question de qui prendra soin d’eux quand nous – les parents – ne serons plus là.
Mais regarder l’avenir c’est déjà le changer et il ne s’agit pas de le prévoir mais de le rendre possible et c’est justement ce que nous cherchons en soutenant la recherche sur le gène CASK en espérant, le plus rapidement possible, pouvoir offrir de nouvelles options thérapeutiques à cette maladie orpheline.
Alors, même s’il y aura toujours des moments sombres et difficiles et probablement plus de nuages dans nos vies, cette aventure, si tant est que l’on peut l’appeler ainsi, m’a encore plus ouvert les yeux sur ce qui essentiel : l’amitié, l’amour et la vie.
Parfois, les événements de la vie vous brisent en mille morceaux, mais lorsque vous vous reconstruisez, enfin, vous constatez que vous êtes une personne sans doute plus forte et plus entière qu’avant.
Bien qu’elle ne le sache peut-être jamais, Enora est mon plus grand professeur et le monde a de la chance de l’avoir avec ses amis Xtraordinaires partout sur cette terre pour rendre ce monde meilleur.
Thierry KERVELLA
Président AECF
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